Suppression de l’épreuve du maillot de bain aux États-Unis, élection d’une miss transgenre en Espagne, candidature possible de personnes «transsexuelles» en France… Un vent nouveau souffle sur les concours de beauté. Décryptage.
Elle s’appelle Angela Ponce et elle est entrée dans l’Histoire. À 26 ans, la première candidate transgenre à avoir remporté le titre de Miss Espagne, vendredi 29 juin 2018, était également la première transsexuelle à participer au concours Miss Univers en novembre 2018. Depuis, Sylvie Tellier, la directrice générale de la société Miss France, a affirmé, lundi 28 octobre, qu’elle ne «s’opposerait pas» à la candidature d’une personne «transsexuelle».
«Demain, si une femme ou un garçon ayant changé de sexe, et ayant donc un état civil féminin, se présente au concours Miss France, nous ne sommes pas la police, je ne vais pas lui faire passer de visite médicale», explique-t-elle ainsi dans une interview au Parisien. Avant de préciser : «Ce n’est pas interdit dans le réglement (…)». Une petite révolution dans la galaxie des concours de beauté, déjà secouée par de nombreux tremblements au cours des dernières années.
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À commencer par la suppression de l’imparable «épreuve du maillot de bain» aux États-Unis. Annoncée en juin 2018, la décision de Gretchen Carlson, présidente du conseil d’administration de Miss America, a été largement critiquée. À tel point qu’une pétition, lancée un mois plus tard par divers organisateurs de concours de beauté à travers les États, exige la démission de l’intégralité du comité américain – officiellement, pour avoir dissimulé aux organisateurs locaux ce projet. Quatre États rebelles – la Géorgie, la Virginie de l’Ouest, la Pennsylvanie et un État non révélé en font partie – ont ainsi été exclus de la compétition aux États-Unis, le 8 octobre 2018.
Cette décision controversée s’inscrit pourtant dans le cadre d’une démarche destinée à moderniser les concours de beauté, victimes de leur «ringardise», comme l’explique Xavier de Fontenay, auteur de L’Histoire Secrète des Miss France (2009), aux éditions Flammarion, qui avait déjà envisagé depuis bien longtemps de supprimer l’épreuve du maillot de bain sur scène. Outre les audiences en berne, les satires véhiculées par la pop culture ont sévèrement égratigné l’image des reines de beauté au fil des compétitions.
En 2006, l’espiègle et rondouillette Olive, interprétée par Abigail Breslin, mettait sens dessus dessous un concours de mini-Miss dans l’hilarant Little Miss Sunshine. Douze ans plus tard, la série Netflix Insatiable – sortie le 10 août 2018 – met en scène une adolescente harcelée qui se venge en participant à un concours de beauté… et fait déjà polémique, accusée de «grossophobie».
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« L’opium des femmes, c’est la beauté et la séduction »
Car, si la société se montre critique envers ce genre de compétitions, elle encourage paradoxalement la pérennité des concours de beauté, estime le collectif féministe Nous sommes 52. «Il y a les annonceurs, bien sûr, et les messages qu’ils véhiculent à travers leurs publicités, mais il y a aussi les études qui paraissent régulièrement en expliquant aux femmes que si elles souhaitent être mieux payées, ou trouver plus facilement un job, elles doivent être maquillées, coiffées, habillées comme si ou comme ça, être attrayantes.»
Le collectif qui promeut l’entraide féminine comme levier pour porter et faire aboutir les projets de femmes de tous horizons ajoute : «On ne leur parle jamais de leurs compétences. Résultat, l’opium des femmes, c’est toujours la beauté et la séduction, parce que nous sommes nourries à cela. Donc pendant un certain temps encore, il y aura des femmes qui seront volontaires pour ces concours de beauté.»
« Ringardise » et audimat
1983. La marque d’équipement de natation réitère son sponsoring des Miss en habillant Frédérique Leroy, Miss France 1983, d’un une-pièce tricolore pour une séance photo. (Paris, le 2 mars 1983.)
1986. Nathalie Marquay alias Miss Alsace, devient Miss France 1987 dans un une-pièce à armatures rose shocking qui n’est pas sans rappeler une certaine poupée blonde (Mais peut-être est-ce aussi la pose). (Paris, le 31 décembre 1986.)
2007. Valérie Bègue alias Miss Réunion et future Miss France 2008 défile dans un maillot aux lignes rétro rappelant le style des uniformes des hôtesses de l’air de la Pan Am. (Dunkerque, le 8 décembre 2007.)
Jugés «ringards», les concours de beauté reprennent, selon Xavier de Fontenay, des codes obsolètes, et peinent à se renouveler. Si l’on en croit celui qui a dirigé Miss France durant vingt-cinq ans avec sa mère Geneviève, ces compétitions seraient tout bonnement vouées à disparaître. «Ceux qui ont racheté Miss France (la franchise a été rachetée par Endemol en 2002, NDLR) sont ancrés sur un credo assez ancien, explique-t-il. Le concours n’est même pas présent sur les réseaux sociaux.»
Si Sylvie Tellier se dit, sur le principe, ouverte à la candidature de personnes transsexuelles, la directrice générale de Miss France doute que le public soit réceptif à une telle nouveauté : «De toute façon, je ne pense pas que les Français soient prêts à élire une Miss transsexuelle», poursuit-elle dans les colonnes du Parisien.
«Les concours de beauté ne sont plus tellement dans l’air du temps, analyse quant à lui Xavier de Fontenay. Ce sont toujours les mêmes défilés, la scénographie est dépassée et les interviews des candidates sont insipides. En 1998, le concours Miss France était à son apogée avec 13 millions de téléspectateurs. Aujourd’hui, il n’en compte que 7.»
Les concours de beauté français sont nés au début du XXe siècle dans un contexte social propice à leur développement. «Très provinciaux, ils reflétaient le côté nostalgique d’une époque monarchique révolue, commente le fils de Geneviève de Fontenay. C’était le moyen pour des jeunes filles sans relations d’accéder à un autre métier. Maintenant, elles passent par la téléréalité ou le mannequinat.» L’auteur prend pour exemple l’Italie, premier pays à reléguer le concours de sa chaîne principale, la Radiotelevisione Italiana (Rai) à une chaîne moindre, l’équivalent de «Miss France qui passerait de TF1 à W9».
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L’impact de #MeToo
C’est avec cette photo, postée le 19 août dernier sur son compte Instagram, que Patricia Yurena Rodriguez a fait son coming out.
En couple avec la chanteuse et djette espagnole, Vanesa Cortes, Patricia Yurena Rodriguez a posté un second cliché le 22 août 2014.
Patricia Yurena Rodriguez lors de la cérémonie de Miss Univers, organisée le 9 novembre 2013, à Moscou.
Si plusieurs tentatives de moderniser le concours ont vu le jour, certains voient ces initiatives comme le fait d’une simple «tendance», peu en phase avec l’esprit des Miss. Interrogée sur la suppression de l’épreuve du maillot de bain au sein de la compétition Miss America, Chantal Bouvier de la Motte, élue Miss France 1972, évoque même «une dérive extrémiste», survenue «après l’avènement du mouvement #MeToo». Car depuis la libération de la parole des femmes, les concours de beauté ont dû se mettre à la page #MeToo.
Outre la requalification de Miss America – ne l’appelez plus «concours de beauté», mais «compétition» – et le débat lancé sur le port des talons pour les Miss, des voix féministes s’élèvent parmi les reines de beauté. Miss Massachusetts 2018, victime d’agression sexuelle durant son adolescence, a ainsi rendu sa couronne le 21 mai après une plaisanterie douteuse sur le mouvement né des suites de l’affaire Weinstein.
Présente dans les coulisses de la compétition, elle assiste au désarroi d’une candidate face à l’annonce de la suppression de l’épreuve du maillot de bain. «Je ne comprends pas», s’insurge la jeune femme. À côté d’elle, un homme déguisé en Dieu brandit ironiquement un panneau #MeToo (traduisez, «Moi non plus»). Miss Massachusetts n’accepte pas cet affront. Un témoignage qui rappelle celui de Linor Abargil, Miss Monde 1998, qui sortait en 2015 le documentaire Brave Miss World relatant sa croisade antiviol.
En décembre 2017, Sam Haskell, l’organisateur de Miss America, est contraint de présenter sa démission. Il avait en effet envoyé plusieurs courriels visant Mallory Hagan, lauréate en 2013, dans lesquels il se moquait de sa prise de poids et affirmait qu’elle était une femme facile.
Une évolution « symbolique »
Pourtant, d’imperceptibles tremblements agitaient déjà le milieu avant le raz-de-marée #MeToo. En 2012, Jenna Talackova, une miss transgenre, est autorisée pour la première fois à participer à l’élection de Miss Canada. En juin 2017, l’Australienne Suzi Dent, 55 ans, remporte la troisième place du concours Miss Monde, d’ordinaire réservé aux jeunes filles.
Une évolution «symbolique», mais un brin «hypocrite», considère Jean-François Amadieu, auteur de La Société du paraître, aux Éditions Odile Jacob. «C’est ridicule : si l’on est cohérent, le principe de ces compétitions est de juger les candidates sur des critères physiques, souligne le directeur de l’Observatoire des discriminations. Sinon, cela deviendrait un concours d’éloquence, ou une émission comme Incroyables Talents. À l’avenir, les jeunes filles ne défileront peut-être pas en maillots de bain, mais elles auront l’Indice de Masse Corporel (IMC) habituel.» Soit un IMC moyen de 18,41 pour les Miss… contre 22,4 pour les Françaises, révélait en décembre 2017 le quotidien La Voix du Nord.
Et Chantal Bouvier de la Motte, couronnée reine de beauté en 1972, d’ironiser : «Si l’on ne met pas des filles dans de jolies robes ou des maillots de bain, avec quoi allons-nous faire de l’audimat ? Leur projet de vie ?» Moralité, quelles que soient les transformations apportées, une telle compétition devra demeurer fidèle à son principe fondateur : «Soit on ne fait plus ce genre de concours, soit on assume que ce soit un concours de beauté, poursuit Jean-François Amadieu. Ce qui ne me choque pas, car il y a aussi des concours de beauté pour hommes et des compétitions de culturisme.»
Qu’en est-il de l’arrivée de femmes transgenres dans la compétition ? Les membres du collectif Nous sommes 52 associent ce titre à une «victoire personnelle» de la candidate, saluée pour sa «transformation réussie». «Mais cela n’est pas une avancée particulière pour les femmes, souligne le collectif. Elle a été élue pour sa beauté, pas sur son talent ni sur son intelligence.» Et Jean-François Amadieu de relativiser à son tour : «Cela n’est pas si original que cela. La gagnante de l’Eurovision en 2014, Conchita Wurst, l’était déjà et il y a des égéries transgenres chez l’Oréal. Cela n’est pas une rupture fondamentale.»
Modernisation ou suppression ?
Le sociologue n’exclut pas, en revanche, de moderniser les concours de beauté. «On pourrait organiser des épreuves par catégories d’âge, ou y inclure des candidates aux physiques différents», propose-t-il. Chantal Bouvier de la Motte, quant à elle, évoque la possibilité pour Miss France d’offrir une bourse d’études à ses candidates : «Aux États-Unis, les concours de beauté remettent aux gagnantes de l’argent réservé à leur éducation. Cela serait un véritable projet communautaire pour la France.»
Mais Jean-François Amadieu demeure plutôt pessimiste sur la transformation hypothétique de ces compétitions : «Au fond, cette évolution est limitée, explique le professeur de la Sorbonne. Elle est due à des pressions, entre les femmes rondes en couverture des magazines et la diversité au cinéma. Si l’on regarde, dans l’ensemble, les égéries des marques de luxe répondent toujours aux mêmes critères physiques. Les femmes veulent montrer leurs kilos en trop, mais la chirurgie esthétique progresse, ce qui est paradoxal.» Le collectif Nous Sommes 52, quant à lui, estime que «la meilleure façon de moderniser le concours de beauté, c’est de le supprimer, en raison des discriminations évoquées». Les reines de beauté pourraient bien, à leur tour, être contraintes de rendre leur couronne.
* Cet article initialement publié le 30 juillet 2018 a fait l’objet d’une mise à jour.
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